Nous continuons notre série de billets historiques, pour préparer le camp du 20ème anniversaire et replacer l’histoire de la F.E.E. dans le cadre plus général de l’histoire du scoutisme.
De retour victorieux de son affectation en Afrique du Sud, et tout auréolé de la gloire du siège de Mafeking pendant la guerre des Boers, Robert Baden Powell est promu plus jeune lieutenant général de l’armée britannique.
A 50 ans, il est désormais inspecteur général de la cavalerie, ce qui lui laisse le temps de se consacrer notamment à la rédaction d’ouvrages sur la formation des jeunes hommes pour en faire des auxiliaires de l’armée (lui-même avait une formation d’éclaireur, au sens militaire du terme). Mais rapidement, il se préoccupe de mettre au point une pédagogie adaptée aux jeunes garçons qui dépasse le cadre militaire. Il souhaite créer le concept entièrement pacifique et écologique d’éclaireur « en temps de paix », peace scout, et en faire la base d’un large mouvement de jeunesse.
Fidèle à son pragmatisme, il décide de mettre à l’épreuve sur le terrain les concepts qu’il a échafaudé, avant de les réunir dans un livre et de faire une série de conférences pour lancer son mouvement. Il organise donc le premier camp éclaireur de l’histoire, sous la forme d’une expérience qui dès le départ fixe l’essentiel des ingrédients qui, plus d’un siècle plus tard, forment toujours les fondamentaux d’un camp.
Ce qui importe avant tout pour Baden Powell, c’est de mélanger des jeunes garçons d’âge et de provenance sociale totalement différents. Si on y songe, cette idée est assez révolutionnaire dans l’Angleterre post-victorienne du tout début du XXème siècle. B.P. a l’intuition, visionnaire pour l’époque, que c’est dans cette mixité sociale que pourront s’accomplir les objectifs du scoutisme. Il recrute donc une vingtaine de garçons issus à la fois de différents collèges prestigieux et de quartiers déshérités, en prenant soin de mélanger les âges entre 12 et 17 ans.
Comme lieu de camp, il choisit l’Ile de Brownsea, dans le comté de Dorset (Sud de l’Angleterre), qui présente le double avantage d’être suffisamment proche de la côte (Poole Harbour) pour faciliter l’intendance, tout en étant suffisamment préservée des curieux et de la presse (rappelons qu’à l’époque, B.P. est un héros national, et qu’à ce titre, ses expériences pédagogiques sont suivies avec ferveur par les médias).
Sur 9 jours, du 1er au 8 août 1907, B.P. a mis au point un programme qui ressemble étonnamment à ce que pourrait être celui d’un camp contemporain (en plus dense et ambitieux sans doute). Les jeunes, qui dorment sous la tente en pleine nature, doivent ainsi aborder chaque jour un nouveau thème :
- Installation, organisation des patrouilles
- Constructions, noeuds, cuisine sur feu de bois, hygiène, orientation, nautisme
- Observation, signes de piste
- Observation de la nature (sans doute dirait-on aujourd’hui écologie !)
- Chevalerie, désintéressement, courage, charité, loyauté, courtoisie, principe de la B.A. (bonne action quotidienne)
- Secourisme
- Histoire, Civisme, Patriotisme (B.P. était encore militaire…)
- Olympiades, jeux sportifs en rapport avec les thèmes abordés pendant le camp.
Les fondements de la pédagogie scoute, de ses rituels et de son organisation sont en outre déjà présents dès ce premier camp (témoignant de la cohérence de la vision de B.P.) : les garçons sont répartis en 4 patrouilles de 5 éclaireurs, pilotées par un chef de patrouille (CP), possédant chacune un animal totem représenté sur un fanion triangulaire accroché à un long bâton (le staff). Chaque patrouille (Corbeaux, Courlis, Loups et Taureaux) a sa propre tente, auxquelles s’ajoutent une tente pour les chefs et une tente d’intendance. Les jeunes portent un uniforme avec un écusson frappé d’une fleur de lys.
La journée est rythmée par des temps de jeu, d’apprentissage technique, des rassemblements, des services et des temps de repos, et ponctuée par une veillée au coin du feu.
Lors de ces veillées, B.P. use de ses talents d’orateur, mime, danseur et chanteur (on le savait déjà un peu ventriloque suite à un célèbre épisode du siège de Mafeking) : il raconte ses propres aventures en Inde et en Afrique du Sud, et on peut imaginer la fascination des jeunes garçons à l’évocation imagée de ces contrées exotiques et des mille aventures qu’y connut le glorieux général. Tous les témoins de l’époque rappelleront le charisme exceptionnel du premier chef de troupe éclaireur de l’histoire.
A la fin du camp de 9 jours, B.P. juge l’expérience concluante (même si, sur le plan financier, le camp accuse un déficit « astronomique » : prévue pour coûter 22£ de l’époque, financée par des frais de participation dépendant des conditions de ressources des familles, l’organisation du camp coûta en fait 55£, une dette heureusement épongée par un sympathique mécène père de deux des premiers boy scouts : nos sages trésoriers contemporains savent qu’il convient de ne pas faire une tradition de ce découvert « historique », si l’on souhaite que le scoutisme perdure encore plus d’un siècle 😉 )
Pressé par ses amis passionnés par ses expérimentations pédagogiques, Baden Powell va réunir l’année suivante tous les éléments de sa méthode dans une série de conférences écrites qui deviendront son best-seller « Scouting for boys« . Dans les quelques mois qui vont suivre, poussés par un élan spontané, des centaines de jeunes à travers toute l’Angleterre, puis tout l’empire britannique, vont se saisir des méthodes préconisées dans ce premier manuel pour créer des unités d’éclaireurs : le scoutisme est né.
En 1907, le scoutisme est encore réservé aux garçons, comme l’indique clairement le titre de l’ouvrage. Les filles ne vont cependant pas tarder à se rallier spontanément au mouvement éclaireur en marche, et à demander une place à part entière dans le scoutisme… Mais c’est une autre histoire, que je vous raconterai demain 😉
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